Adresse aux vivants sur la mort qui les gouverne et l’opportunité de s’en défaire
III: La materia prima et l’alchimie du moi
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Création contre travail
L’acte de créer est à l’humanisation de la nature et à la vie ce que le travail est à la dénaturation et à la mort programmée.
La lecture accélérée des évidences place désormais au rang de banalités un constat hier encore révoqué en doute: l’exploitation économique a mené les hommes et leur milieu aux limites d’une survie dont l’apogée coù¯ncide avec la chute.
L’histoire de la marchandise et l’histoire des hommes qui la produisent est une seule et la même; elle se fait en défaisant ceux qui la font.
Nous voilà prévenus et, sinon rassurés, du moins prémunis contre tant de terreurs ressassées de siècle en siècle et que nous savons inhérentes à un système dont les mécanismes ont perdu leur caractère inéluctable. L’apocalypse appartient au passé et au sinistre cortège de ses horreurs cycliques. Le véritable Déluge n’a jamais été, parti des premiers remparts de Jéricho, que le déferlement des valeurs marchandes ensevelissant les valeurs humaines sous les eaux glacées du profit.
Les hauts lieux de la vie, que n’arasèrent jamais les vagues successives de la conquête marchande, servirent longtemps de refuge à ceux qu’affligeait la routine des affaires et des passions stipendiées. Ces îles qu’un lent reflux révèle à leur nouveauté sous les noms anciens d’amour, de générosité, d’hospitalité, de jouissance, de créativité désignent aujourd’hui les vrais chemins d’une présence humaine sur la terre. La révolution n’a été jusqu’à présent que le changement de décor dans la séculaire mise en scène de l’économie. Je ne pressens de révolution authentique que dans l’aménagement quotidien et individuel d’un paysage humain.
Il aura fallu l’Amazonie incendiée, la couche d’ozone déchirée, la terre blessée, le souffle irradié de l’air pour découvrir sous la nature informatisée, comptabilisée, dépecée à l’aune de sa valeur d’échange, une autre nature, qui offre ses ressources et sa force à qui dédaigne de les lui arracher pour une poignée de dollars.
L’environnement change parce que se modifient le regard, l’oreille, le toucher, le goù»t, le sentir, la pensée, l’attitude si longtemps emprisonnés dans la seule perspective du pouvoir et de l’argent. Ainsi dans l’ennui et la grisaille d’un univers en déclin surgit la passion de renaître au sein d’une planète et d’une existence si bien connues par ce qui les tue qu’elles demeurent au simple regard de la vie comme neuves et inexplorées.
Misère de la création économisée
Les oeuvres de l’art et de l’invention technique sont nées le plus souvent dans les tourments d’une créativité refoulée et qui n’avait pour s’exprimer que les rages du défoulement. Alors que la joie créatrice naissait, par transmutation, de la violence des pulsions élémentaires et chaotiques, la nécessité de produire a changé l’opération du Grand-Oeuvre en un douleureux enfantement, en une malédiction qui paie chèrement la gratuité des dons de nature.
Ce n’est pas assez que le créateur, qui est un et chacun, doive renoncer à se créer soi-même dès l’enfance, quand la quête de la jouissance lui est interdite, il faut encore que son génie inventif se brise sous la contrainte et s’abâtardisse en de laborieux efforts. Pour quelques heureuses découvertes, combien d’inventeurs condamnés au silence, voire à la mort, parce que l’objet de leur recherche contrariait la loi du cui prodest. «à qui cela peut-il rapporter»? Combien de savants complaisants vendus au pouvoir? Combien d’artistes prématurément usés et prolétarisés à force de descendre dans l’arène sociale pour solliciter les applaudissements, subir le jugement du mérite et du démérite, polir un label de concurrence à l’égal des hommes d’affaires, des bureaucrates, des politiques et autres courtisans du marché spirituel et matériel?
Pourtant il arrive que l’élan créateur, si corrompu qu’il soit sous le joug du travail, garde l’empreinte du corps où il a pris naissance. Etrange résurrection: des oeuvres continuent de nourrir les vivants bien après qu’ont disparu ceux qui les abandonnèrent au cors caricieux du temps. A qui sait recréer la vie qu’il porte en lui, une vie éternelle est accordée. Les autres, dont l’ambition se contentat de la gloire, ne seront jamais qu’un nom dans les catalogues de la mémoire.
On ne crée rien sans se créer soi-même
La fin des vanités, ou pour le moins des moyens qui prêtaient aux renommées un crédit à long terme, a l’avantage de renvoyer la créativité à sa vraie nature, qui est la jouissance de soi s’affirmant dans la jouissance du monde.
La voici reconnue à la simple et multiple dimension de l’humain: volonté de vivre et non volonté de puissance; authenticité et non paraître; gratuité et non esprit de lucre; pulsation des désirs et non pensée séparée; don et non échange; effort s’abolissant dans la grâce et non contrainte; coeur de l’instiable et non de l’insatisfaction.
Tout empêtrée qu’elle demeure des emprises du travail, elle ouvre peu à peu les portes de l’enfermement économique, elle laisse courir la poésie faite par tous, elle encourage le gai savoir dans la diversité de ses libertés de chanter, de composer, d’écrire, de jardiner, d’étudier, de rêver, de danser et d’inventer un monde sur les ruines d’un monde saccagé par l’empire de l’exploitation progressive. Quand elle se contenterait d’extirper de la conscience la croix d’infortune que la nécessité d’amasser de l’argent et de dominer a plantée dans la volonté de vivre à son gré, elle aurait fait plus pour le bonheur de l’humanité que la somme des révolutions qui en programmèrent l’espérance.
Sans doute le temps est-il venu de reprendre aux dieux cette création du monde qui leur fut si abusivement confiée, et dont ils ont fait si piètre usage. La création n’appartient qu’aux hommes, en dépit de leur résignation quotidienne à s’en dépouiller au profit du travail. Elle leur apparaîtra de plus en plus comme leur incontestable privilège.
La sotte idée leur est passée, aujourd’hui, de prier à rebours, de remercier Dieu de leur accorder un pain qu’ils avaient produit et gagné à la sueur de leur front. Tant de richesses humaines jetées en pâture au néant incitent enfin à se tourner vers soi, non par présomption et dans la vanité de cet individualisme où l’individu se nie, mais par goù»t de créer et de se créer.
La réconciliation avec la nature à sauver est inséparablement réconciliation avec soi, avec le créateur naissant découvrant son salut n’importe où en dehors du travail. Dans la création se fondent lentement la véritable unité du corps, la symbiose de l’être de désirs et de la nature terrestre, la grande concordance du vivant qui abolira le règne de l’esprit et de la pensée séparée.
Le chômage est un travail en creux
Le travail n’est pas ce qu’il importe de défaire; il se défait de lui-même, il s’épuise en épuisant l’homme et les ressources naturelles. Mais la servilité, l’inintelligence, le manque d’imagination que continuent de propager, dans les comportements et les consciences, le souvenir de son utilité passée et l’angoisse de son inocuité présente, voilà la vraie calamité d’une économie moribonde, qui conduit la totalité du monde à la mort sous le drapeau du réalisme et de la rationalité.
La force du travail tient surtout à la faiblesse et au mépris de soi qu’il perpétue, mais quelle redoutable puissance et comme on en peut mesurer les néfastes effets sur cette catégorie sociale que les milieux populaires appellent chômeurs et les milieux d’affaires «sans-travail»: Quelle tare d’être privé de ce qui vous prive de la vie.
Sous le label péjoratif qui le coiffe du chapeau de la pitié et de la dérision, le chômeur n’est plus rien, car il est bien entendu que ce qui fait l’homme, c’est le travail. Il était bête de somme, avec la garantie de l’étable, le voilà chien errant. Il tenait des vertus du labeur le droit de revendiquer un salaire; qu’il ne se fatigue plus le ravale à une manière d’état immoral où il sied, pour mériter l’aumône, de baisser la tête, de se taire et de se montrer discret sur l’agrément, tout de même, de ne plus perdre ses jours en fatigue et en ennui.
Mais telle est l’imprégnation maladive du «devoir» que le chômage est vécu comme un travail à la porte de l’usine, même si dehors et dedans règne la même inutilité, à ceci près que l’une est salariée et l’autre pas (les secteurs rentables, on le sait bien, appartiennent à la bureaucratie et à la production de biens sans usage, alors que l’agriculture et les industries couvrant les besoins primordiaux sont condamnées).
Par le vide que provoque et que compense son activité frénétique, le travail agit à la façon d’une drogue. Le salaire garantit la régularité d’approvisonnement, son absence l’interrompt, provoque un manque et jette dans l’affolement, le désespoir, la panique.
Or s’il est vrai pour qui garde les yeux sur l’horizon terne de la survie, que les allocations de chômage n’annoncent pas le printemps, il faut avoir l’aveuglement de l’intoxiqué pour dédaigner la richesse d’un temps soudain libre d’obligations, pour hurler à l’embauche comme un morphinomane à la lune au lieu de battre le briquet de sa propre créativité et d’entreprendre collectivement cette tâche — jugée impossible parce que le préjugé économique l’interdit -, la création du gratuit.
L’imposture du travail nécessaire est la plus lente et, partant, la plus consolante et la plus cruelle manière d’en finir avec la vie. Il y aurait du pathétique dans le laisser-aller suicidaire des foules — fluant et refluant au rythme d’une machine qui tourne à vide, tandis que la capital est à l’affût de faillites où s’investir -, n’était le ridicule où elles s’enferrent en mourant de soif auprès d’une fontaine.
La misère volontaire et navrante des travailleurs et des sans-travail excipe de sa bêtise fondamentale dans des manifestations de grévistes tournant à l’arrêt de travail en un vrai travail de contestation au point de faire suer les rues d’ennui. La belle imagination que d’entraver l’acheminement du courrier postal et de paralyser les transports en commun pour le désagrément de tous quand il n’y aurait que les instances dirigeantes — maffiosi d’Etat à qui les droits sont payés et qui refusent de les redistribuer en salaires — pour s’attrister qu’arrivât à son destinataire une lettre exemptée de son timbre et que trains, métros et autobus fussent mis gratuitement à la disposition du plus grand nombre.
La gratuité effraie parce qu’elle est naturelle. Mais qui aurait aujourd’hui des raisons de s’inquiéter si les mécontents de la hausse des prix et des baisses salariales s’avisaient de ne plus payer pour se déplacer, se loger, se nourrir, s’exprimer, se rencontrer, communiquer, s’amuser et se réconforter?
La reconversion écologique de l’économie est une transition prévisible vers l’ère de la nouvelle cueillette.
L’investissement écologique offre une dernier sursis à l’économie
Le paradoxe du totalitarisme économique, dont la logique conduit au génocide planétaire, c’est qu’il se condamne à disparaître selon la loi d’un profit dont l’avidité lui enjoint par ailleurs de se perpétuer.
L’exploitation de la nature obéit à un principe de mort: elle transforme le vivant en marchandise et fonde un empire où les hommes ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes. L’au-delà du Styx n’a jamais été que l’en-deçà de la terre.
En revanche, l’appât du gain, cause première d’une inéluctable mise à sac, a horreur du néant, il sait prolonger la durée d’un privilège, éviter de tuer la poule aux oeufs d’or, épargner le vif parce qu’on ne tire plus d’un cadavre que la peau et les os.
Ainsi, l’économie découvre, au rythme accéléré du désert qu’elle propage, l’occasion de survivre en reconstruisant ce qu’elle ne peut détruire plus avant sans perdre sa rentabilité et son crédit.
L’alternative à laquelle est confrontée le système économique se situe entre l’arrêt de mort et le sursis. Ou la civilisation marchande atteindra son néant en anéantissant ceux qui l’ont engendrée ou elle s’éteindra dans la dernière plus-value que la restauration de la nature lui accordera.
Les énergies naturelles et le programme d’assainissement de la terre offrent à la fois un débouché à la rentabilité que menacent fondamentalement le viol et la pollution des ressources, et une chance à la créativité brisant le joug du travail et préparant l’ère de la gratuité.
Mieux l’économie jettera dans l’investissement écologique le crédit déclinant de ses forces ultimes, plus aisément se déjoueront les pièges de la marchandise et plus proche du corps et de la conscience sera la réalité d’une civilisation radicalement autre.
La création locale du milieu de vie
Rien ne devrait s’entreprendre aujourd’hui de grand ou de petit qui ne se pénètre de cette banalité nouvelle: l’idéologie du travail a imposé la réalité d’une nature taillable et corvéable à merci, où rien n’est obtenu qui ne se prenne par force. Le changement de perspective, perçu par un oeil lassé de n’avoir plus à contempler que laideur et ruines, dévoile une autre nature dont la matière première offre, sans contrepartie, et ses ressources et l’ingéniosité d’en user sans les épuiser jamais.
Ce qui s’esquisse dans les mentalités et les comportements laisse présager l’émergence d’une phase transitoire entre la débâcle de l’économie et une civilisation de la créativité, entre le travail et la création, la prolifération marchande et l’abondance naturellement suscitée, l’homme abstrait et la jouissance de soi, l’exploitation mrachande et la nouvelle cueillette.
Qui s’attaque désormais au gâchis des planifications étatiques et aux ordres «venus d’en haut»? De petites collectivités locales, des villages, des quartiers, qui n’hésitent pas à porter la défense de leur environnement jusque sur la table des débats internationaux, dénonçant le dépôt de produits toxiques, interdisant les industries polluantes, exigeant des solutions de remplacement.
Là naîtront peut-être les premières mises en oeuvre d’énergies éolienne et solaire qui briseront le monopole public et privé des sociétés productrices de gaz et d’électricité. Le développement de l’agriculture biologique y pourra supplanter la production de nourritures frelatées, recycler naturellement les ordures, empêcher la fabrication de matériaux dont les déchets ne soient pas reconvertibles.
Ouvrir la ville à la nature
Il s’agit, ni plus ni moins, de créer un milieu naturel à la fois affectif et nourricier. C’est un projet sur lequel l’agriculture concentrationnaire, de ses origines à son prolongement industriel dans l’urbanisme moderne, a jeté l’interdit, séparant les hommes de leur nature et les enrôlant dans une guerre menée contre eux-mêmes et leur environnement.
Nous en sommes à la léthargie des villes mortes. Le labyrinthe, laissé jadis à la dérive du promeneur, a fait place à de grandes avenues quadrillées par l’ennui, à des remparts de béton où la tête se cogne avec les résonances du crime, car désapprendre à vivre, c’est apprendre à tuer. Imagine-t-on quelques rues piétonnières et la multiplication de zones de verdure sauver de l’étouffement un tissu urbain reproduisant l’agencement des supermarchés, où la nature ne pénètre que sous emballage plastifié?
Humaniser la ville, c’est assurer son accès aux ressources naturelles. Les glacis isolant les derniers quartiers où il fait bon habiter et flâner appellent à un véritable défrichement. Les bâtiments de l’inutilité étatique, bureaucratique, militaire, financière, policière, religieuse, les terrains vagues, les places publiques, les rues et les boulevards viciés par le gaz d’échappement des voitures, tout cela ferait de beaux jardins potagers pour l’agrément de tous, en attendant mieux du génie créatif qui s’y pourrait exercer.
Il n’y a pas d’autre manière de se débarasser du travail que de restituer à la créativité individuelle une confiance qui lui a été, jusqu’à présent, sinon refusée, du moins mesquinement mesurée.
Ce qui doit désormais guider toute recherche, c’est, à l’inverse de l’inertie dominante et du conditionnement de l’argent, la création d’une gratuité naturelle dont les énergies douces offrent un premier modèle. La fin de la production salariée et de la consommation forcée implique la fin de l’exploitation de la nature et la mise en pratique d’une nouvelle cueillette, seule entreprise qui puisse rendre à la richesse des découvertes techniques une efficacité réelle et un sens véritablement humain.
Du travail à la création
Pour que la création supplante le travail, il faut que se substitue à l’économie de dénaturation une économie prête à tirer ses derniers profits de l’assainissement de la terre et d’une production d’énergies douces.
Le passage graduel des usines aux ateliers de création aura du moins l’avantage de révoquer en doute le préjugé qui assimile la gratuité à un cadeau insolite et incongru, à un vice de forme dans le procédé des échanges, à l’immorale rétribution du fainéant. On retrouve là l’assimilation du plaisir à un dédommagement du travail fourni, à la récompense des dieux, au repos du guerrier, au relâchement du corps.
Les artistes, qui passèrent longtemps pour les seuls créateurs, n’ont jamais ignoré quelle somme de déconvenues et d’efforts réitérés compose le patient alliage de l’inspiration. Le don d’écrire, de composer, de peindre, de jardiner, de caresser, de rêver, de voir, de goù»ter, de changer le monde et la vie ne tombe pas du ciel, il est la gratuité qui se crée, s’extirpant du magma pulsionnel, se traînant d’échecs en recommencements pour éclore un jour ou l’autre dans la grâce d’un moment heureux.
Seul un acharnement constant permet de créer cet accomplissement de soi d’où découlent tous les bonheurs de créer. Mais tant de fiévreuse obstination ne laisse jamais de se confondre avec un travail. Il n’y a pas d’enfer de la création car elle est à la fois la jouissance et la poursuite de la jouissance, le mouvement et son but. La rage de ses désirs inassouvis ne se mue pas en ce réflexe de renoncement qui est l’essence même du travail, elle reconstruit de plus belle ce qui s’était écroulé.
A peine de se perdre, la création n’obéit pas à la contrainte, elle est poussée par la force irrésistible et souvent discordante des désirs. C’est là qu’elle se bat sans se perdre, s’accroissant de ce qu’elle donne, à l’inverse du travail qui s’exerce en usant et épuisant. Car elle émane d’une nature offrant ses richesses à qui sait les recueillir, non d’une nature violée par l’oppression et la gloire de l’argent. On travaille contre soi et contre les autres. On crée pour soi et pour le plaisir de tous.
Création et dépassement
L’intelligence expérimentale qui inventa le feu, la roue, la barque, l’outil s’est inspirée de l’exemple de la nature pour en parfaire la substance. De l’abri sous roche à la maison hospitalière s’inscrivent les différents stades d’un dépassement du ventre maternel; la cuisson du pain, la fermentation de la bière, le génie des sauces et du repas chaud traduisent l’affinement culinaire du primitif besoin de se nourrir. Tout le processus de création — brisé et discrédité par la nécessité de produire — s’est opéré dans le génie, spécifiquement humain, de dépasser les pulsions animales et de solliciter du milieu ambiant les ressources utiles à l’oeuvre de perfectionnement. La création de soi prend ses forces dans la nature qui se crée pour la recréer à l’image de la nature humaine. Ces forces, sans doute perceptibles encore au début de l’ère économique, les premières religions s’empressèrent de les transformer en esprits élémentaires, dont elles peuplèrent les sources, les forêts, l’air et les profondeurs de la terre, les travestissant en divinités hostiles dont il convenait d’acheter les faveurs par de sanglants sacrifices.
Au-delà du gâchis des séparations — de cette tête en perpétuel conflit avec l’énergie libidinale et qui ne laissait à l’individu que la portion congrue de ses capacités mentales, affectives, musculaires, pulsionnelles, physiologiques — la totalité du corps apprend aujoud’hui à s’investir dans la création conjointe de la destinée individuelle et de son environnement. Et c’est comme si la vieille fatalité, qui enseignait à se plier aux décisions divines, se changeait en une fatalité d’avoir à ordonner pour une grande plénitude le chaos pulsionnel de la matière vivante, substance, inséparablement, du corps et de la nature. L’amor fati se fait insensiblement fatum amoris.
Celui qui désire est lui-même le dieu qui exauce.