Adresse aux vivants sur la mort qui les gouverne et l’opportunité de s’en défaire
II: Genèse de l’humanité
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La fin du pouvoir hiérarchisé
Il n’est pas un domaine où l’autorité ne se dégrade et n’annonce la fin de tous les pouvoirs engendrés par l’exploitation de la nature.
L’incroyance a dépouillé les prêtres du respect et du mépris dont les drapait leur ministère. Dieu ressortit désormais de la fouille archéologique, et les épisodiques criailleries de chantier ne changeront rien à la faillite (enfin!) des entreprises religieuses.
En quelques terres vénéneuses du tiers-monde croupissent les derniers tyrans. Un universel discrédit ensevelit peu à peu les dictatures militaires dans les déjections du passé; mieux que l’antimilitarisme le plus virulent, il fait puer d’un remugle de mort l’uniforme des armées de tous les continents et de tous les partis.
Rien n’est plus réconfortant que de voir l’histoire refermer ses poubelles sur le règne des dieux vivants, des sauveurs du peuple, des gloires providentielles, des élus charimastiques. Il faut rendre grâce au XX° siècle d’avoir désarticulé la main de fer qui tint si longtemps en sujétion le prolétariat, la femme, l’enfant, le corps, l’animal et la nature. Heureux temps où les chefs d’Etat, de famille, de coteries, de cénacles et d’entreprises dégringolent de leur prestige comme feuilles mortes, tourbillonnent dans les remous du ridicule avant de se perdre dans l’indifférence!
N’ayant plus rien de consistant à leur mettre sous la dent, la volonté de puissance ne nourrit plus que des carnassiers édentés. Sans doute l’époque continue-t-elle à jeter sur le marché son lot de créatures autoritaires, mais c’est affaire d’inertie plus de conviction. Les mutilés affectifs ont beau s’exhiber encore sous le label du regard de feu, du caractère d’acier, de la mâchoire virile, le milieu ambiant stérilise leurs semences d’amertume, d’agressivité et de mort. Ils se retrouvent déchus des raisons qui les fondèrent si longtemps en droit et en espérance: la promesse d’un Etat fort, d’un empire financier, d’une révolution nationale ou prolétarienne. La caution de la réussite leur est désormais refusée.
Au nom de quoi gouverneront-ils maintenant que l’économie les gouverne comme des pions, car l’échiquier du vieux monde ayant perdu rois, reines, tours et cavaliers, il ne reste plus pour sauter d’une case à l’autre qu’une universelle piétaille? Poursuivront-ils un jeu qu’ils ne mènent plus, et à l’appel de quelle victoire? Restaurer les affaires, l’Etat, l’argent, la confiance? Allons donc; les choses en sont à ce point que le ressort du mensonge se brise aussitôt remonté.
Les gens de pouvoir ont perdu cette foi du maquignon, qui fit les royaumes et les républiques. N’auraient-ils gardé que l’ancienne créance du commis voyageur, frappant de porte en porte pour écouler son stock de balayettes, qu’ils eussent conservé assez d’imagination retorse pour dépendre le pendu et lui vendre une autre corde. Mais non! L’idée leur vient à peine de profiter de sirènes d’alarme qui signalent la présence d’une planète en danger. Ils ne songent pas à déboulonner les monopoles branlants de l’industrie traditionnelle, à investir dans l’écologie, à démanteler les fabriques de nuisances, à défaire en beauté ce qu’ils firent en laideur, à dépolluer et dénucléariser, à coloniser les énergies douces, à fédérer internationalement de petites unités régionales de production, à propager des modes d’autogestion rentables, bref à agir selon la constante de leur histoire: la reconversion économique des idées révolutionnaires. Du reste, il semble que l’état mental des hommes d’affaires subisse la baisse tendancielle de leur taux de pouvoir. Ont-ils ressenti comme un traumatisme personnel le fait que le commerce des armes pâtisse de l’extinction graduelle des guerres locales? Tojours est-il qu’ils n’ont rien trouvé de mieux pour obéir aux lois de concurrence que de s’affronter dans le champ clos de la Bourse. Là, adoubés en chevaliers noirs et blancs, ils s’adonnent à des parodies de tournois, de raids, de pillage. Etonnant spectacle qu’une génération de financiers obsessionnels poussant d’un bout à l’autre d’une table d’actionnaires des séries de chiffres et des liasses de biftons tandis qu’en cascade des secteurs entiers de l’agriculture et de l’industrie vont à la casse.
A son stade suprême, le capitalisme retombe en enfance, une enfance éradiquée de la vie, ce que l’on nomme ordinairement le gâtisme. Dans le même temps que ses mécanismes apparaissent à la conscience du corps individuel, l’économie atteint à sa pure abstraction. Son évanescence est telle qu’elle lâche sous elle sa propre substance, les usines et les marchés qui en composaient la matérialité. Quelle volonté de puissance résisterait à pareil relâchement musculaire?
La courbe décroissante de l’offensive économique
La rage de s’approprier un os à ronger ou à revendre a partout nourri la volonté de puissance. Même l’homme le plus faible protestait de sa main-mise sur un bout de pain, une femme, un chien, une manière de renommée. Voilà un trait de caractère que l’on n’a pu attribuer à la nature de l’homme qu’à la condition de la revêtir d’une cuirasse caractérielle. Le tour de passe-passe est d’autant plus manifeste aujourd’hui que, la marchandise ayant presque tout conquis, il ne reste en présence sur la terre que la redondance d’une économie sans usage et une vie découvrant l’usage humain de sa nature.
Il n’est pas un continent où la marchandise ne pousse sa modernité. L’obligation de consommer propage la démocratie à le vitesse des études de marché, la paix des échanges efface progressivement le spectre des guerres, voire de la guerre sociale, du moins sous sa forme archaïque. Le conflit qui dressait séculairement l’une contre l’autre la classe exploitée et la classe exploiteuse subit chaque jour davantage les effets de la dévaluation du pouvoir. Répression et revendications s’amollissent dans la parodie nostalgique des luttes d’antan.
Il n’est pas jusqu’à la vieille prédominance de l’esprit sur le corps qui ne lâche prise à son tour. Le marché technocratique n’a-t-il pas entrepris, en promotionnant l’ordinateur, de transformer l’outil en cerveau et le cerveau en outil? La cybernétique réalise ainsi le programme préparé pour l’homme par la logique de la marchandise: un corps et un esprit égalitairement réunis dans une machine.
Qui s’extasiera du prodige auquel atteint le génie humain mis au service de l’économie: un corps musculaire dépourvu d’énergie libidinale et une pensée engouffrant des millions de connaissances, qu’elle ne peut traiter qu’au moyen d’une logique binaire, c’est-à-dire avec une intelligence inférieure à celle du rat? L’émerveillement est ailleurs.
Le règne de la valeur d’échange
Comme si l’ordinateur servait d’enseigne à la boutique humanitaire où l’homme tend vers la pure abstraction, voici un monde où la valeur d’usage décroît de gadget en gadget, où les biens véritablement utiles disparaissent avec vaches, escargots, champignons et forêts, où les industries de matières premières sont démantelées au nom de la rentabilité internationale.
En revanche, la valeur d’échange tend vers l’absolu. Le profit détermine le sort de la planète dans l’ignorance méprisante de l’homme et de la nature. Une intellectualisation forcenée réduit l’écart entre travail manuel et travail intellectuel. Ce qui y gagne, ce n’est pas l’intelligence du vivant, c’est l’indifférenciation des êtres et des gestes quotidiennement pliés au réflexe d’un travail programmé pour procréer le néant; c’est l’accord assuré non avec ce qui vit mais avec une société où tout ce qui bouge est mécanique et quantifiable en valeurs boursières. Telle est la perspective marchande. La pyramide hiérarchique a beau se tasser et le pouvoir dégringoler, le sentiment d’un univers où l’être se glace en objet continuera de pousser passivement vers la mort ceux qui ne perçoivent pas combien une violence nouvelle couve sous le pourrissement des luttes traditionnelles, à quel point l’antagonisme de l’exploiteur et de l’exploité a lassé les énergies parce qu’il révèle aujourd’hui un dénominateur commun à l’une et l’autre factions, l’exploitation lucrative de la vie.
Le déchaînement de la volonté de vivre sera aux fureurs insurrectionnelles ce que l’exubérance enfantine est aux trépignements du vieillard.
L’organisation
Jamais le pouvoir n’a disposé d’aussi grands moyens pour imposer sa souveraineté et jamais il ne lui est resté, pour les appliquer, aussi peu de force.
La politique des dieux était impénétrable. La ferveur idéologique balayait les doutes et les scrupules. Il a fallu que les exigences du marché condamnent, sous l’accusation, sans appel, de «rentabilité insuffisante», cet ultime résidu de la structure agraire qu’était la tyrannie bureaucratique pour que rien ne dissimule plus longtemps les circuits déconnectables de l’économie informatisée.
Assurément, la bureaucratisation soviétique avait déjà rendu palpable l’absurdité de plans aussi parfaitement agencés sur papier que parfaitement inutilisables. L’effondrement du glacis bureaucratique achève de démontrer concrètement ce qu’a toujours été le pouvoir hiérarchique: une tentative d’organiser le vivant en le vidant de sa substance au profit de l’économie.
La distance qui séparait l’esprit céleste de la matière terrestre tient aujourd’hui entre le poing qui se ferme sur la nécessité de travailler et la main qui s’ouvre aux plaisirs d’aimer et de créer.
La gestion de la faillite
A quoi se réduit désormais l’existence effective, sinon efficace, des dernières formes de pouvoir? A la science du management. Elle seule est en prise directe sur l’économie depuis que l’économie s’est épouillée de sa vermine politique, rois, pontifes, chefs d’Etat et de factions, depuis qu’elle étend sur la terre ses circuits visibles du grand ordinateur.
Queslle est la qualité la plus prisée chez les hommes politiques, maintenant qu’ils sont devenus les porte-bagages des hommes d’affaires? Quel est leur meilleur faire-valoir électoral? Le charisme? L’intransigeance? La poigne? La séduction? L’intelligence? Pas le moins du monde! Il importe seulement qu’ils aient le sens de la gestion.
Belle logique: L’époque exige de bons gestionaires avec un empressement d’autant plus grand qu’il n’y a plus à gérer que des faillites.
Il y a trente ans, les révolutionnaires, exigeant la peau des bureaucrates, appelaient à la formation de nouvelles organisations qui liquideraient les fauteurs de gabegie et feraient triompher l’ordre autogestionnaire. Ils ont eu la peau des bureaucrates mais pour s’en revêtir.
Les murs de la citadelle bureaucratique et des empires de l’Est se sont effondrés non sous l’assaut des libertés révolutionnaires mais sous la poussée de la marchandise appelant à son libre passage avec tant de transparence que c’est le mot lui-même qui passe pour abolir le rideau de fer.
Les anciens combattants de 1968 — peu sensibles au refus de la survie qui s’exprimait alors — ont pris du galon dans la fringante armée des nouveaux gestionnaires. Comme la débâcle économique se gère fort bien d’elle-même, ils ont tout loisir d’agir au mieux des intérêts du peuple en agissant dans l’intérêt de l’économie. Ils mettent de l’ordre dans la défaite et de la dignité dans la débandade. Les jeunes loups ont toujours fait, le temps d’une saison, de bien beaux moutons.
Pour la première fois dans l’histoire, le sentiment que l’économie a usurpé sa souveraineté au vivant donne à la volonté de vivre la conscience d’une souveraineté à créer.
Le retour au concret
Le devenir de la marchandise a été la force des choses qui ont partout pesé sur les destinées. Son universalité a matérialisé dans le corps des individus, cependant uniques, un ensemble de fonctions et de rôles qui agitaient, comme autant de pantins à peine différents les uns des autres, des êtres persuadés d’agir selon l’esprit, la culture, l’idéologie qu’ils avaient choisis. Le retour au concret dénonce l’imposture de l’homme abstrait, de l’homme arraché de soi au nom de l’homme en soi.
La séparation entre le vécu et le marché social, qui le prétend gouverner, est si sensible aujourd’hui qu’elle prête une grande fragilité aux engagements dans quelque carrière que ce soit, à commencer par ce qu’ils appellent la «responsabilité sociale». Pourquoi, en effet, irais-je entériner un contrat avec une société si contraire à la vie que la simple survie de la planète s’en trouve menacée? Toute obédience consentie à un monde qui se détruit n’est-elle pas un acte d’autodestruction?
Les décombres qu’ils accumulent d’une main et rapetassent de l’autre ne me concernent en rien, si ce n’est par le détour qu’ils m’imposent. Il n’est pas facile de vivre et moins encore d’en garder l’envie, voilà un effort constant qui me dispense des autres.
Il n’y a plus, pour s’opposer à la montée du vivant, que la force d’inertie qui continue d’agenouiller ceux que le pouvoir n’a plus la force de contraindre.
Le délabrement du mécanique collé sur le vivant
Le pouvoir a perdu cette irradiation sublime et terrifiante qui le rendait si redoutablement proche et lointain: proche par son inquisition permanente, sa police sillonnant les pays et les têtes; lointain par cet inaccessible renouvellement que n’interrompt jamais le couteau qui tranche la gorge des tyrans.
Depuis que l’opinion publique enregistre l’effondrement des diverses formes d’autorité, le mélange de peur, de haine, de respect et de mépris que propageaient les surplis, breloques et uniformes s’exorcise en rires et railleries avant de se diluer bientôt dans une indifférence amusée.
Il faut ne savoir ni aimer ni être aimé pour éprouver le besoin de gouverner les autres. Ce qui se gagne en prestige se perd en puissance affective. Et quel asservissement aux mécanismes des rôles et des fonctions! L’obsession de régner, d’imposer, de vaincre, de subjuguer réduit le corps à un ensemble de leviers de commande. Les gestes, les muscles, les regards, les pensées obéissent à un mouvement de balancier. Il faut, ici, s’attacher par faveurs, flatteries, compromis, alliances celui qui ne peut être exclu; et détruire là, avec morgue, insolence et raisons péremptoires quiconque ne s’est laissé acheter par contrainte, contrat et séduction. Heureuse existence qui tire son plaisir et son piquant d’une brosse à reluire et àétriller!
Plus le mécanique s’empare du vivant, plus la frustration s’affame et se nourrit de compensations agressives. Dans le temps que le pouvoir patriarcal et la vogue incontestée des comportements autoritaires prêtaient de puissants moyens aux fonctions et aux rôles, on appelait charisme, responsabilité, sens du devoir cette rage de dominer qui relève aujourd’hui de la névrose et du ridicule. Il reste à ceux qui ont l’étoffe d’un chef trop peu de tissu pour en draper décemment leur impuissance fonctionnelle et leur impuissance à vivre.
Un insigne stupidité du terrorisme prétendument subversif est de n’avoir pas compris que les créatures du pouvoir sont à ce point diminuées qu’elles tirent un puissant réconfort de l’intérêt que leur consacre une campagne d’assassinat ou de dénigrement. Signe des temps: le nom de Caserio a éclipsé celui du vague président envoyé par lui ad patres, alors que le peu glorieux Aldo Moro l’emporte dans la mémoire sur son terne assassin. Chiens couchants, chiens qui mordent et aboyeurs de l’ordre sont du même chenil. Ceux qui se battent encore pour mourir ont les cimetières qu’ils méritent.
Qui a résolu de vivre selon ses désirs devient insaisissable. Il n’a ni rôle, ni fonction, ni renommée, ni richesse, ni pauvreté, ni caractère, ni état par lesquels on le puisse agripper et prendre au piège. Et s’il doit comme chacun payer tribut au travail et à l’argent, il ne s’y engage pas vraiment, étant engagé ailleurs où il a mieux à faire.
Rien n’est plus déprimant pour le matamore que de s’apercevoir soudain qu’il n’a pas d’adversaire, qu’il se démène seul sur le ring de la concurrence et de la polémique, qu’il n’appartient qu’à lui de se donner de la révérence et du mépris.
Le miroir s’est brisé, où l’homme de pouvoir s’entendait à livrer au public une image admirable. S’il lui arrive de s’y contempler à la dérobée, c’est désormais pour saisir d’un coup d’oeil la désolante inanité de tant d’efforts, le vide affreux d’une vie sacrifiée aux apparences.
Ne jamais s’avancer où le pouvoir essouflé jette ses derniers ordres, c’est laisser qui méditait de vous avilir et écraser face à face avec son pire ennemi: lui-même.
L’art d’être à soi n’empiète pas sur l’espace des autres, il occupe un autre plan de l’existence où l’espace ne manque pas; il laisse aux protagonistes du comportement autoritaire le choix de l’une ou l’autre façon de disparaître: en achevant de se détruire comme être vivant, ou bien en détruisant rôles et fonctions pour commencer à vivre.
En finir avec le triomphalisme et la compétition
Prendre d’instant en instant le temps de se sentir vivre, c’est se trouver libéré du droit et du devoir conjoints d’obéir et de commander. Apprendre à saisir chaque plaisir quotidien, si minime qu’il soit, crée peu à peu un milieu où l’on s’appartienne sans réserve, où l’on soit vrai sans réticence, où l’exercice du désir passionne à tel point qu’il n’est rien ni personne qui s’interposant fâcheusement ne perde aussitôt de son poids, de son importance, de son sens.
Le sentiment de plénitude n’est pas un état de fait mais un devenir, non une contemplation mais une création. Le jeu du désir et de la jouissance implique une perspective où n’entrent pas en ligne de compte les critères du monde marchand et leurs raisons impératives. Il y a là une frontière indécise qu’un savoir sensuel devrait déceler à certains signes. Je n’en veux pour exemple que l’innocence de l’enfance heureuse qui illumine le visage des amants dans le moment de l’amour alors que les accès d’autorité auxquels ils succombent impriment à leurs traits la crispation douleureuse de l’enfant frustré dans son besoin de tendresse et qui se venge par les criailleries du caprice tyrannique.
Etre heureux, c’est aussi ne se soucier ni de l’être plus ou moins qu’un autre, ni d’en fournir la preuve ou l’aveu. Le bonheur se gâte dès qu’il a besoin de se faire valoir. Otez son mobile pusillanime et apeuré au précepte «pour vivre heureux, vivons cachés» et vous lui découvrirez une signification plus profonde: la jouissance ne s’exhibe qu’à ses dépens, la bonne fortune se tourne en son contraire dès que la fatuité s’en empare. La vanité est une authenticité qui se vide avec un bruit d’évier. Ce n’est jamais le vivant qui se livre à la gloire mais sa dépouille. Le plaisir qui ne s’offre pas dans sa gratuité est une denrée de supermarché.
S’aimer n’est pas s’admirer. je n’ai que faire de la balance des valeurs comparées, des mécanismes de concurrence où le commerce des hommes est régi par le commerce des choses.
Comment prendre le plaisir d’être à soi s’il faut à chaque instant escalader le podium et s’accrocher pour n’en être pas précipité?
Le ridicule dans lequel le tassement régulier des marchés traîne l’esprit de compétition ne rend que plus absurde et odieux le leitmotiv de l’éducation traditionnelle: «Que le meilleur gagne!» L’enfant n’a nul besoin de victoires sur lui ni sur les autres; elles sont autant de défaites assenées à sa capacité d’aimer et d’être aimé, elles instillent en lui la peur de jouir, car au regard d’une société où tout doit être pesé, acheté, vendu, prêté, rendu, payé, la jouissance est, par sa gratuité naturelle, une faiblesse et une faute. Comme disait cette femme de tête: «Il faut éviter de faire l’amour quand on est en affaires, on y perd sa combativité.»