La critique situationniste ou la praxis du dépassement de l'art
Une critique de l’art inscrite dans les realites sociales
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B 3 — L’échec des avant-gardes et la récupération de l’art
L’art en concordance avec le pouvoir établi n’a pas toujours été du goù»t de tout le monde, plusieurs tentatives avant-gardistes de subversion ont eu lieu, souvent avant que leurs critiques et leurs productions se retournent contre elles. Pourquoi? peut-être déjà parce que l’avant-garde, terme emprunté au vocabulaire militaire, entretient avec la troupe et l’arrière-garde des rapports de collaboration. On reste dans une démarche de continuation, et non de rupture.
L’expérience dadaïste a réussi àéviter ce piège puisqu’elle marquait une négation complète de la totalité du monde de l’art. Fonctionnalisme, expressionnisme, abstraction de Kandinsky àPicasso, tout était à combattre, non sans explications. “Dada déclencha, à la fin de la première guerre mondiale, l’attaque la plus exempte de compromis contre la culture conventionnelle. Mais les mécanisme de défense usuels opérèrent bientôt, les produits de “l’anti-art” furent cérémonieusement encadrés et suspendus à côté de “l’école d’Athènes”; Dada fut soumis à la castration des fichiers, et fut bientôt inhumé en sûreté dans les manuels d’histoire, tout à fait comme une autre école artistique. Le fait est qu’alors que Tristan Tzara et alii pouvaient dénoncer justement le chancre du corps politique, pouvaient tourner les projecteurs de la satire vers les hypocrisies à balayer, ils n’avaient pas avancé une solution de remplacement créative à l’ordre social existant. Qu’aurions-nous fait après avoir peint une moustache à la Joconde? Aurions-nous réellement désiré que Gengis Khan utilisât le Louvre comme écurie pour ses chevaux; et puis après?”[32].
Le surréalisme, plus “positif” et productif que le dadaïsme, tomba facilement dans les ficelles du système; Breton , lui-même, par ses excès d’autorité et d’idéalisme, sombra dans l’autosatisfaction. Mais la majeure partie de la récupération du surréalisme est dans l’actualité de l’art d’après-guerre, dans ce que Pollock doit àErnst et Masson, dans l’inflation des imitateurs de Chirico ou Magritte… On peut lire dans le premier numéro d’internationale situationniste que “pour leur plus grande part, les nouveautés picturales sur lesquelles on a attiré l’attention depuis la dernière guerre sont seulement des détails, isolés et grossis, pris secrètement dans la masse cohérente des apports surréalistes”[33]. Les surréalistes ne répondant que très peu aux inspirations falsifiées de ces nombreux artistes en quête de réussite, l’I.S. se charge de réagir tout en remarquant que “l’ennui est la réalité commune du surréalisme vieilli”[34].
Concernant le lettrisme, le messianisme d’Isou a annoncé sa perte assez tôt (scission dès 1952 avec la création de l’Internationale lettriste), mais Jorn note aussi que “bien que l’ensemble du mouvement lettriste ait tenu quelque temps le rôle d’une réelle avant-garde dans une époque donnée, la poésie onomatopéique qui en fut la première manifestation, venant plus de vingt ans après Kurt Schwitters [et l’Ursonate], n’avait évidemment rien d’expérimental”[35]. La prétention des lettristes “conservateurs” (dont le maître est Isou) àêtre totalement novateurs, tout en stagnant, est caractéristique des avant-gardes finissantes.
Ceux de l’I.S. qui étaient d’anciens membres de Cobra se sont trouvés confrontés dès 1958 à une tentative flagrante de récupération: “une sorte de conspiration tend à lancer un nouveau mouvement d’avant-garde, qui a la particularité d’être fini depuis sept ans”[36], (Cobra a existé de 1948 à1951). En effet, le succès commercial de Jorn ou Constant a “incité d’autres artistes à produire artificiellement la version réchauffée d’un néo-Cobra, correspondant au goù»t de l’élite culturelle dominante pour les mouvements en reflux”[37]. L’I.S. elle-même, dans sa production initiale, fut confrontée à des contradictions notables avec la peinture industrielle de Pinot-Gallizio. Les limites de celle-ci (cf. chapitre II) ont permis à certains critiques d’art italiens d’en donner une interprétation tronquée proche de la métaphysique et/ou de l’esthétique dominante; et malgré la production énorme de rouleaux issus de cette peinture industrielle, les galeries d’exposition ne manquèrent pas de considérer chaque rouleau comme un grand tableau à commercialiser. La volonté de désaliénation de la peinture industrielle se situant en échec total, Pinot-Gallizio est exclu de l’I.S. en juin 1960. Pour l’I.S., la question de sa propre récupération se pose alors sérieusement, la nécessité de bien comprendre ce phénomène se fait sentir, l’I.S. réaffirme son opposition formelle à la culture conventionnelle, y compris dans son état le plus moderne.
Intéressons-nous maintenant à cette notion de “récupération.” Ce terme, lancé très tôt par les situationnistes, concerne le danger que représente l’intégration, consciente ou non, au monde de la décomposition culturelle. Il sera repris par les plus radicaux de la révolte parisienne de mai 1968, craignant (à juste titre) l’accaparement de la lutte par les organisations syndicales et politiciennes.
“L’idéologie dominante organise la banalisation des découvertes subversives, et les diffuse largement après stérilisation. Elle réussit même à se servir des individus subversifs: morts, par le truquage de leurs oeuvres; vivants, grâce à la confusion idéologique d’ensemble, en les droguant avec une des mystiques dont elle tient commerce”[38]. Par cette normalisation, les contrôleurs du jugement et de la vente de l’art assimilent l’authentique subversion de l’art officiel à n’importe quelle production complaisante qui passe pour l’objet d’un réel mouvement novateur. Les tenants de l’art officiel s’évertuent systématiquement à ne voir dans la subversion volontaire, chez certains poètes ou artistes, qu’une simple et toujours anecdotique déviance idéologique, pour ne prendre en compte que leur style, la “forme” de leur expression, le but étant d’épurer le contenu de leur art pour le rendre politiquement superficiel.
Exemple caractéristique, la question de la spontanéité et de l’automatisme, mise en avant par les dadaïstes puis par les surréalistes, dans le but d’une libération de soi comme mode d’être de la créativité individuelle, avec la conscience claire de la poésie est dénaturée par l’action painting dans les années 1940 (à commencer par le dripping de Pollock). La spontanéité ainsi isolée est cataloguée dans les moyens spectaculaires d’exprimer l’art moderne. Au lieu de constituer une expérience immédiate, une conscience du vécu authentique, la spontanéité est réifiée.
Dans L’homme unidimensionnel, Herbert Marcuse constate que “les défenseurs de la culture de masse trouvent ridicule qu’on puisse protester contre l’emploi de Bach comme musique de fond dans la cuisine, contre la vente des oeuvres de Platon, de Hegel, de Shelley, de Baudelaire, de Marx et de Freud, au drugstore. Ils insistent sur le fait que les classiques ont quitté le mausolée et sont revenus à la vie, le fait qu’ainsi le public est éduqué. C’est vrai, mais s’ils reviennent à la vie comme classiques, ils revivent comme autres qu’eux-mêmes, ils sont privés de leur force antagonique, de leur étrangeté qui était la dimension même de leur vérité. Le but et la fonction de ces oeuvres ont donc fondamentalement changé. Si à l’origine, elles étaient en contradiction avec le statu quo, cette contradiction a maintenant disparu”[39]. Marcuse explique que si la culture a été ainsi “démocratisée,” c’est pour mieux cacher le fossé qu’il y a entre cette idéologie de la démocratie et sa réalité. L’intégration des vérités taboues au monde de la marchandise les rend anecdotiques et massivement inoffensives. “La domination a sa propre esthétique et la domination démocratique a une esthétique démocratique. C’est une bonne chose que la plupart des gens puissent disposer des arts simplement en tournant le bouton d’un appareil ou en pénétrant dans un drugstore. Mais à travers cette diffusion, les arts deviennent les rouages d’une machine culturelle qui remodèle leur contenu”[40]. Si Raoul Vaneigem relativise ces propos quant à la récupération des artistes, il n’en étend pas moins par la suite l’analyse critique de Marcuse: “En vérité, sauf dans l’académisme, l’artiste ne succombe pas intégralement à la récupération esthétique. Sacrifiant son vécu immédiat pour la belle apparence, l’artiste, et quiconque essaie de vivre est artiste, obéit aussi au désir d’accroître sa part de rêves dans le monde objectif des autres hommes. En ce sens, il assigne à la chose créée la mission d’achever sa propre réalisation individuelle dans la collectivité. La créativité est par essence révolutionnaire. La fonction du spectacle idéologique, artistique, culturel consiste à changer les loups de la spontanéité en bergers du savoir et de la beauté. Les anthologies sont pavées de textes d’agitation, les musées d’appels insurrectionnels; l’histoire les conserve si bien dans le jus de leur durée qu’on en oublie de les voir ou de les entendre. Et c’est ici que la société de consommation agit soudain comme un dissolvant salutaire. L’art n’érige plus aujourd’hui que des cathédrales en plastique. Il n’y a plus d’esthétique qui, sous la dictature du consommable, ne disparaisse avant d’avoir connu ses oeuvres maîtresses. L’immaturé est la loi du consommable (…). Bernard Buffet, Georges Mathieu, Alain Robbe-Grillet, Pop Art et Yé-Yé s’achètent les yeux fermés aux grands magasins du Printemps”[41].
L’I.S. a la volonté de changer l’emploi de la vie, d’utiliser des concepts d’origine artistique de façon non-artistique, elle a donc l’obligation d’éviter les pièges que lui tendent ceux qui ont intérêt à les transformer en artistes convenables. Quoiqu’il arrive, aucune oeuvre artistique (des beaux-arts) exécutée par un membre de l’I.S. ne sera étiquetée “situationniste” (dans le cas contraire, ce serait la porte ouverte aux considérations de l’I.S. comme simple avant-garde artistique), toutes seront même qualifiées d“‘anti-situationnistes.” Tandis que les avant-gardes précédentes se présentaient en affirmant l’excellence de leurs principes, de leurs méthodes et de leurs oeuvres, l’I.S. se présente comme la première organisation artistique fondée sur le constat de l’insuffisance radicale des oeuvres permises, comme la première organisation artistique dont “la signification, le succès ou l’échec ne pourront être jugés qu’avec la praxis révolutionnaire de son temps”[42]. Alexander Trocchi confirme que, de toute façon, “l’art ne peut avoir de signification vitale pour une civilisation qui élève une barrière entre la vie et l’art, et collectionne des produits artistiques comme des dépouilles d’ancêtres à vénérer”[43].
Cette civilisation qui semble se désagréger, les situationnistes veulent la détruire sans se tromper de chemin: “Nous ne voulons pas travailler au spectacle de la fin du monde mais à la fin du monde du spectacle”[44]. L’expression de “décomposition” doit alors être développée. Les situationnistes lui inaugurent un nouveau sens, la définition est donnée telle qu’elle: “Processus par lequel les formes culturelles traditionnelles se sont détruites elles-mêmes, sous l’effet de l’apparition de moyens supérieurs de domination de la nature, permettant et exigeant des constructions culturelles supérieures. On distingue, entre une phase active de la décomposition, démolition effective des vieilles superstructures — qui cesse vers 1930 -, et une phase de répétition qui domine depuis. Le retard dans le passage de la décomposition à des constructions nouvelles est lié au retard dans la liquidation révolutionnaire du capitalisme”[45].
Debord estime que la décomposition est le stade suprême de la pensée bourgeoise, perdu dans la confusion systématique de la crise de la culture moderne. L’espoir d’une poussée des forces révolutionnaires lui fait croire que la fin de l’idéologie en décomposition est proche. Les troubles de mai 1968 lui donneront raison, mais en partie seulement car le pouvoir restera en place…
Au niveau de l’art, la décomposition s’étend rapidement au début des années 1960 par l’amoncellement de pseudo-ready-made dadaïstes élargis: biographies et expositions de peintres imaginaires, par Max Aub et Max Strack; ballets sans thème ni chorégraphie, sans décor ni musique, d’Harry Kramer; exposition d’ordures de Jerry Brown; exposition parisienne de déchets assemblés par neuf “nouveaux-réalistes”; tableaux-cibles peints à la carabine par Nicki de Saint-Phalle; imitation de la machine à peinture industrielle de Pinot-Gallizio par un jeune artiste dans la cour du Louvre; machine autodestructrice de Tinguély; machine “inutile” de Richard Grosser; et surtout, la sensation pour chacun d’entre eux de la découverte d’un concept neuf et exceptionnel. “Tous retuent des cadavres qu’ils déterrent, dans un no man’s land culturel dont ils n’imaginent pas l’au-delà ”[46]. La décomposition semble à son apogée, mais le reste du XXème siècle ira plus loin encore avec ses artistes travaillant sur le virtuel, le prolongement de l’esthétique du vide et de la non-vie (ne parlons même pas de l’étendue fantastique des mass media ou de la publicité devenue référence culturelle et artistique). Dans tous les domaines, la décomposition est une valeur marchande; en tant que conscience du pourrissement des valeurs institutionnelles, elle a une place primordiale dans la stratégie de la vente, la propagande de la confusion laisse perplexe et, à bien y réfléchir, il est difficile de s’y retrouver, la pensée de la population est censée se fragmenter. Le simple exercice de l’esprit critique devient impossible, chaque jugement est totalement partiel, se référant à des débris de systèmes d’ensemble désaffectés, ou à des impératifs sentimentaux personnels. La décomposition semble l’emporter. L’I.S. veut pousser ce monde à la décomposition totale, autodestructrice, pour que les spectateurs désintéressés de ce monde atteignent ce que Schopenhauer appelait la jouissance du beau, le vrai plaisir artistique dans les détails de la vie quotidienne (ce à quoi les situationnistes ajoutent celui de la totalité de la vie quotidienne). Ce même Schopenhauer, qui déplore qu’entre la douleur et l’ennui, la vie oscille sans cesse, nous mène à la question du réel bouleversement esthétique et de celle de l’art sans propriétaire car propriété de toutes et tous.
B 4 — La nécessité d’un bouleversement esthétique total
Le questionnement d’une ouverture vers un art du peuple n’est pas franchement nouveau, mais concrètement, historiquement, on ne connaît pas d’art prolétarien. Le concept même s’est égaré dans la propagande pseudo-communiste du réalisme socialiste stalinien. Le prolétaire étant lui-même conditionné par la culture bourgeoise (ou bureaucrate, à l’Est), il se trouve transformé en produit de l’organisation capitaliste du monde, sa sensibilité est manipulée et les portes de sa potentialité artistique sont difficiles à forcer. Il est même enclin à ne plus se sentir concerné par la culture et l’art, formés hors de sa participation et de son contrôle. “Le peuple [c’est-à -dire les classes non-dominantes] ne peut que se trouver illusoirement concerné par les sous-produits spécialement destinés à sa consommation: toutes les formes de publicité et propagande spectaculaires en faveur de modèles de comportement, et de produits disponibles”[47], massivement préfabriqués.
Pourtant, “ce qui a été appelé “l’art moderne” des ses origines au XIXème siècle jusqu’à son épanouissement dans le premier tiers du XXème siècle, a été un art contre la bourgeoisie”[48]. La crise de l’art contre laquelle lutte l’I.S. est la conséquence indirecte de la crise du mouvement révolutionnaire de la classe ouvrière (qui croît dans l’entre-deux-guerres) et l’attachement actuel de l’art au spectacle est la conséquence logique du perfectionnement du capitalisme.
L’art dans le spectacle est le prolongement somme toute logique du destin de l’oeuvre d’art: la contemplation (on a cru qu’elle pouvait être suivie de plaisir authentique, voire de réflexion), la non-intervention, la passivité affirmée dans les musées et autres lieux de consommation de l’art. Pour l’I.S., cette démarche est nuisible, résoudre quelque problème posé par une idée de beauté préexistante est obsolète. Dans un premier temps, l’art et la liberté sont dans la destruction des idoles, des idées préconçues et conventionnelles. Contre le spectacle, la culture situationniste réalisée introduit la participation totale, et contre l’art conservé, l’I.S. est une organisation du moment vécu, immédiat. L’I.S. se veut, en effet, intransigeante sur ses positions et sur la participation active de chacun de ses membres au sein du groupe. Debord écrivait dans Les Lèvres nues en 1955 que la première des déficiences morales était l’indulgence sous toutes ses formes. Pour lui, il vaut mieux changer d’amis que d’idées, en conséquence, l’I.S. (comme le mouvement surréaliste en son temps), connaît de nombreuses exclusions. Pour les mêmes raisons, les collaborations avec l’extérieur seront rares, ce qui est le moyen le plus sûr de ne pas se compromettre (les artistes convoitant l’I.S. pour glisser leurs oeuvres personnelles dans des constructions d’ambiance situationniste furent nombreux, tous furent confrontés à des refus sans conditions). Les tentatives de récupération, ou les calomnies dont l’I.S. sera l’objet, la mènera à cette réputation plutôt justifiée de groupe offensant, à l’insulte facile (il faut croire que la radicalité de la critique situationniste s’exprime aussi dans la pratique de l’injure…).
Visant un bouleversement esthétique total, l’attitude et le style de l’I.S. s’en ressentent. D’inspiration dadaïste et surréaliste, l’I.S. pousse à l’extrême la négation du monde de l’art, de la société spectaculaire-marchande et de ses représentants.
Dans le but traditionnel de l’esthétique, il y a la prétention d’éternité donnée aux oeuvres d’art considérées comme étant déterminantes dans l’histoire de l’art. Le but des situationnistes, inversement, est dans la participation immédiate à une abondance passionnelle de la vie, dans la fin de l’asservissement, de la réification et du fétichisme.
L’artiste étant en ces temps confronté à un vide culturel absolu (la décomposition), à une absence d’esthétique, de conscience et de style de vie, l’art officiel ne saurait tarder à dévoiler sa faillite aux yeux de tous. On ne peut plus réaliser l’art qu’en le supprimant, une façon d’atteindre le stade ultime du dépassement de l’esthétique.
C La mort de l’art, amorce de son dépassement…
Le “dépassement” nous vient de l’Aufhebung de Hegel, le dépassé étant supprimé par ce qui le dépasse, mais aussi conservé sous une autre forme, plus “élevée.” L’I.S. se déploie dans cette dialectique de la réalisation et de la suppression en un même mouvement. Dada a supprimé l’art sans le réaliser, le surréalisme l’a réalisé sans le supprimer, l’I.S. se donne comme objectif la suppression et la réalisation simultanées, aspects inséparables d’un même dépassement de l’art.
L’art, entièrement absorbé par une civilisation de résignation et de réification, n’a d’autre destination que le tombeau. A la formule de Nietzsche, “Dieu est mort,” Dada ajoutait, en reprenant l’idée de Hegel: “L’art est mort.” Les situationnistes, dont le style et l’esprit se situent quelque part au milieu de ces trois-là , refusent toute expression artistique, unilatérale et stockée sous forme de marchandise, qui exprime la cohérence de la décomposition et de son passé. L’art appartenant au passé, son dépassement est à entreprendre, par la critique, mais également par des expérimentations propres à l’I.S. “La fin de la créativité tolérée — la fin de toutes les formes d’art — identifie désormais la passion de créer à la jouissance gratuite de la vie”[49], c’est dans la vie quotidienne que se joue l’art futur: “la révolution dans la vie quotidienne, brisant son actuelle résistance à l’historique (et à toute sorte de changement) créera des conditions telles que le présent y domine le passé, et que la part de créativité l’emporte toujours sur la part répétitive”[50]. Par une création propre à elle, l’I.S. exige l’expression de la totalité du pouvoir de la vie quotidienne contre le pouvoir hiérarchisé.
Notes
[32] Internationale situationniste #8, op. cit., p.51
[33] Internationale situationniste #1, op. cit., p.3
[35] Internationale situationniste #5, Paris, décembre 1960, p.34
[36] Internationale situationniste #2, Paris, décembre 1958, p.4
[37] Jean-François Martos, Histoire de l'Internationale situationniste (Paris, éd. Ivrea, 1995), p.109
[38] Guy Debord, Rapport sur la construction des situations…, op. cit., p.6
[39] Herbert Marcuse, L'homme unidimensionnel (Paris, éd. de Minuit, 1968), p.89
[41] Raoul Vaneigem, Traité de savoir-vivre…, op. cit., p.147
[42] Internationale situationniste #4, op. cit., p.5
[43] Internationale situationniste #8, op. cit., p.50
[44] Internationale situationniste #3, Paris, décembre 1959, p.8
[45] Internationale situationniste #1, op. cit., p.14
[46] Internationale situationniste #6, op. cit., p.13
[47] Internationale situationniste #9, Paris, août 1964, p.40