Thèses sur la révolution culturelle
Le but traditionnel de l’esthétique est de faire sentir, dans la privation et l’absence, certains éléments passés de la vie qui, par une médiation artistique, échapperaient à la confusion des apparences, l’apparence étant alors ce qui subit le règne du temps. Le degré de la réussite esthétique se mesure donc à une beauté inséparable de la durée, et tendant même à une prétention d’éternité. Le but des situationnistes est la participation immédiate à une abondance passionnelle de la vie, à travers le changement de moments périssables délibérément aménagés. La réussite de ces moments ne peut être que leur effet passager. Les situationnistes envisagent l’activité culturelle, du point de vue de la totalité, comme méthode de construction expérimentale de la vie quotidienne, développable en permanence avec l’extension des loisirs et la disparition de la division du travail (à commencer par la division du travail artistique).
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L’art peut cesser d’être un rapport sur les sensations pour devenir une organisation directe de sensations supérieures. Il s’agit de produire nous-mêmes, et non des choses qui nous asservissent.
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Mascolo a raison de dire (“Le Communisme”) que la réduction de la journée de travail par le régime de la dictature du prolétariat est “la plus certaine assurance qu’il puisse donner de son authenticité révolutionnaire.” En effet, “Si l’homme est une marchandise, s’il est traité comme une chose, Si les rapports généraux des hommes entre eux sont des rapports de chose à chose, c’est qu’il est possible de lui acheter son temps.” Mascolo cependant conclue trop vite que “le temps d’un homme librement employé” est toujours bien employé, et que “l’achat du temps est le seul mal.” Il n’y a pas de liberté dans l’emploi du temps sans la possession des instruments modernes de construction de la vie quotidienne. L’usage de tels instruments marquera le saut d’un art révolutionnaire utopique à un art révolutionnaire expérimental.
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Une association internationale de situationnistes peut être considérée comme une union des travailleurs d’un secteur avancé de la culture, ou plus exactement comme une union de tous ceux qui revendiquent le droit à un travail que les conditions sociales entravent maintenant; donc comme une tentative d’organisation de révolutionnaires professionnels dans la culture.
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Nous sommes séparés pratiquement de la domination réelle des pouvoirs matériels accumulés par notre temps. La révolution communiste n’est pas faite et nous sommes encore dans le cadre de la décomposition des vieilles superstructures culturelles. Henri Lefebvre voit justement que cette contradiction est au centre d’un désaccord spécifiquement moderne entre l’individu progressiste et le monde, et appelle romantique- révolutionnaire la tendance culturelle qui se fonde sur ce désaccord. L’insuffisance de la conception de Lefebvre est de faire de la simple expression du désaccord le critère suffisant d’une action révolutionnaire dans la culture. Lefebvre renonce par avance à toute expérience de modification culturelle profonde en se satisfaisant d’un contenu: la conscience du possible-impossible (encore trop lointain), qui peut être exprimée sous n’importe quelle forme prise dans le cadre de la décomposition.
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Ceux qui veulent dépasser, dans tous ses aspects, l’ancien ordre établi ne peuvent s’attacher au désordre du présent, même dans la sphère de la culture. Il faut lutter sans plus attendre, aussi dans la culture, pour l’apparition concrète de l’ordre mouvant de l’avenir. C’est sa possibilité, déjà présente parmi nous, qui dévalorise toutes les expressions dans les formes culturelles connues. Il faut mener à leur destruction extrême toutes les formes de pseudo-communication, pour parvenir un jour à une communication réelle directe (dans notre hypothèse d’emploi de moyens culturels supérieurs: la situation construite). La victoire sera pour ceux qui auront su faire le désordre sans l’aimer.
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Dans le monde de la décomposition nous pouvons faire l’essai mais non l’emploi de nos forces. La tâche pratique de surmonter notre désaccord avec le monde, c’est-à-dire de surmonter la décomposition par quelques constructions supérieures, n’est pas romantique. Nous serons des “romantiques révolutionnaires,” au sens de Lefebvre, exactement dans la mesure de notre échec.