De la misère en milieu étudiant

Chapter 1, considérée sous ses aspects économique, politique, psychologique, sexuel et notamment intellectuel et de quelques moyens pour y remédier

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Considérée en elle même, la “Jeunesse” est un mythe publicitaire déjà profondément lié au mode de production capitaliste, comme expression de son dynamisme. Cette illusoire primauté de la jeunesse est devenue possible avec le redémarrage de l’économie, après la Deuxième Guerre mondiale, par suite de l’entrée en masse sur le marché de toute une catégorie de consommateurs plus malléables, un rôle qui assure un brevet d’intégration à la société du spectacle. Mais l’explication dominante du monde se trouve de nouveau en contradiction avec la réalité socio-économique (car en retard sur elle) et c’est justement la jeunesse qui, la première, affirme une irrésistible fureur de vivre et s’insurge spontanément contre l’ennui quotidien et le temps mort que le vieux monde continue à secréter à travers ses différentes modernisations. La fraction révoltée de la jeunesse exprime le pur refus sans la conscience d’une perspective de dépassement, son refus nihiliste. Cette perspective se cherche et se constitue partout dans le monde. Il lui faut atteindre la cohérence de la critique théorique et l’organisation pratique de cette cohérence.

Au niveau le plus sommaire, les “Blousons noirs,” dans tous les pays, expriment avec le plus de violence apparente le refus de s’intégrer. Mais le caractère abstrait de leur refus ne leur laisse aucune chance d’échapper aux contradictions d’un système dont ils sont le produit négatif spontané. Les “Blousons noirs” sont produits par tous les côtés de l’ordre actuel: l’urbanisme des grands ensembles, la décomposition des valeurs, l’extension des loisirs consommables de plus en plus ennuyeux, le contrôle humaniste-policier de plus en plus étendu à toute la vie quotidienne, la survivance économique de la cellule familiale privée de toute signification. Ils méprisent le travail mais ils acceptent les marchandises. Ils voudraient avoir tout ce que la publiccité leur montre, tout de suite et sans qu’ils puissent le payer. Cette contradiction fondamentale domine toute leur existence, et c’est le cadre qui emprisonne leur tentative d’affirmation pour la recherche d’une véritable liberté dans l’emploi du temps, l’affirmation individuelle et la constitution d’une sorte de communauté. (Seulement, de telles micro-communautés recomposent, en marge de la société développée, un primitivisme où la misère recrée inéluctablement la hiérarchie de la bande. Cette hiérarchie, qui ne peut s’affirmer que dans la lutte contre d’autres bandes, isole chaque bande et, dans chaque bande, l’individu). Pour sortir de cette contradiction, le “Blouson noir” devra finalement travailler pour acheter des marchandises -et là tout un secteur de la production est expressément fabriqué pour sa récupération en tant que consommateurs (motos, guitares électriques, vêtements, disques, etc.)- ou bien il doit s’attaquer aux lois de la marchandise, soit de façon primaire en la volant, soit d’une façon consciente en s’élevant à la critique révolutionnaire du monde de la marchandise. La consommation adoucit les moeurs de ces jeunes révoltés, et leur révolte retombe dans le pire conformisme. Le monde des Blousons noirs n’a d’autre issue que la prise de conscience révolutionnaire ou l’obéissance aveugle dans les usines.

Les Provos constituent la première forme de dépassement de l’expérience des “Blousons noirs,” de l’organisation de sa première expression politique. Ils sont nés à la faveur d’une rencontre entre quelques déchets de l’art décomposé en quête de succès et une masse de jeunes révoltés en quête d’affirmation. Leur organisation a permis aux uns et aux autres d’avancer et d’accéder à un nouveau type de contestation. Les “artistes” ont apporté quelques tendances, encore très mysttifiées, vers le jeu, doublées d’un fatras idéologique; les jeunes révoltés n’avaient pour eux que la violence de leur révolte. Dès la formation de leur organisation, les deux tendances sont restées distinctes; la masse sans théorie s’est trouvée d’emblée sous la tutelle d’une mince couche de dirigeants suspects qui essaient de maintenir leur “pouvoir” par la sécrétion d’une idéologie provotarienne. Au lieu que la violence des “Blousons noirs” passe sur le plan des idées dans une tentative de dépassement de l’art, c’est le réformisme néo-artistique qui l’a emporté. Les Provos sont l’expression du dernier réformisme produit par le capitalisme moderne: celui de la vie quotidienne. Alors qu’il ne faut pas moins d’une révolution ininterrompue pour changer la vie, la hiérarchie Provo croit — comme Bernstein croyait transformer le capitalisme en socialisme par les réformes — qu’il suffit d’apporter quelques améliorations pour modifier la vie quotidienne. Les Provos, en optant pour le fragmentaire, finissent par accepter la totalité. Pour se donner une base, leurs dirigeants ont inventé la ridicule idéologie du Provotariat (salade artistico-politique innocemment composée avec des restes moisis d’une fête qu’ils n’ont pas connue), destinée, selon eux, à s’opposer à la prétendue passivité et à l’embourgeoisement du Prolétariat, tarte à la crème de tous les crétins du siècle. Parce qu’ils désespèrent de transformer la toatalité, ils désespèrent des forces qui, seules, portent l’espoir d’un dépassement possible. Le Prolétariat est le moteur de la société capitaliste, et donc son danger mortel: tout est fait pour le réprimer (partis, syndicats bureaucratiques, police, plus souvent que contre les Provos, colonisation de toute sa vie), car il est la seule force réellement mençante. Les Provos n’ont rien compris de cela: ainsi, ils restent incapables de faire la critique du système de production, et donc prisonniers de tout le système. Et quand, dans une émeute ouvrière anti-syndicale, leur base s’est ralliée à la violence directe, les dirigeants étaient complètement dépassés par le mouvement et, dans leur affolement, ils n’ont rien trouvé de mieux à faire que dénoncer les “excès” et en appeler au pacifisme, renonçant lamentablement à leur programme: provoquer les autorités pour en montrer le caractère répressif (et criant qu’ils étaient provoqués par la police). Et, pour comble, ils ont appelé, de la radio, les jeunes émeutiers à se laisser éduquer par les “Provos,” c’est à dire par les dirigeants, qui ont largement montré que leur vague “anarchisme” n’est qu’un mensonge de plus. La base révoltée des Provos ne peut accéder à la critique révolutionnaire qu’en commençant par se révolter contre ses chefs, ce qui veut dire rallier les forces révolutionnaires objectives du Prolétariat et se débarasser d’un Constant, l’artiste officiel de la Hollande Royale, ou d’un De Vries, parlementaire raté et admirateur de la police anglaise. Là, seulement, les Provos peuvent rejoindre la contestation moderne authentique qui a déjà une base réelle chez eux. S’ils veulent réellement transformer le monde, ils n’ont que faire de ceux qui veulent se contenter de le peindre en blanc.

En se révoltant contre leurs études, les étudiants américains ont immédiatement mis en question une société qui a besoin de telles études. De même que leur révolte (à Berkeley et ailleurs) contre la hiérarchie universitaire s’est d’emblée affirmée comme révolte contre tout le système social basé sur la hiérarchie et la dictature de l’économie et de l’Etat . En refusant d’intégrer les entreprises, auxquelles les destinaient tout naturellement leurs études spécialisées, ils mettent profondément en question un système de production où toutes les activités et leur produit échappent totalement à leurs auteurs. Ainsi, à travers des tâtonnements et une confusion encore très importante, la jeunesse américaine en révolte en vient-elle à chercher, dans la “société d’abondance,” une alternative révolutionnaire cohérente. Elle reste largement attachée aux deux aspects relativement accidentels de la crise américaine: les Noirs et le Viet-Nam; et les petites organisations qui constituent “la Nouvelle Gauche” s’en ressentent lourdement. Si, dans leur forme, une authentique exigence de démocratie se fait sentir, la faiblesse de leur contenu subversif les fait retomber dans des contradictions dangereuses. L’hostilité à la politique traditionnelle des vieilles organisations est facilement récuprérée par l’ignorance du monde politique, qui se traduit par un grand manque d’informations, et des illusions sur ce qui se passe effectivement dans le monde. L’hostilité abstraite à leur société les conduit à l’admiration ou à l’appui de ses ennemis les plus apparents: les bureaucraties dites socialistes, la Chine ou Cuba. Ainsi trouve-t-on dans un groupe comme “Resurgence Youth Movement,” et en même temps une condamnation à mort de l’Etat et une éloge de la “Révolution Culturelle” menée par la bureaucratie la plus gigantesque des temps modernes: la Chine de Mao. De même que leur organisation semi-libertaire et non directive risque, à tout moment, par le manque manifeste de contenu, de retomber dans l’idéologie de la “dynamique des groupes” ou dans le monde fermé de la Secte. La consommation en masse de la drogue est l’expression d’une misère réelle et la protestation contre cette misère réelle: elle est la fallacieuse recherche de liberté dans un monde sans liberté, la critique religieuse d’un monde qui a lui-même dépassé la religion. Ce n’est pas par hasard qu’on la trouve surtout dans les milieux beatniks (cette droite des jeunes révoltés), foyers du refus idéologique et de l’acceptation des superstitions les plus fantastiques (Zen, spiritisme, mysticisme de la “New Church” et autres pourritures comme le Gandhisme ou l’Humanisme …). A travers leur recherche d’un programme révolutionnaire, les étudiants américains commettent la même erreur que les “Provos” et se proclament “la classe la plus exploitée de la société”; ils doivent, dès à présent, comprendre qu’ils n’ont pas d’intérêts distincts de tous ceux qui subissent l’oppression généralisée et l’esclavage marchand.

A l’Est, le totalitarisme bureaucratique commence à produire ses forces négatives. La révolte des jeunes y est particulièrement virulente, et n’est connue qu’à travers les dénonciations qu’en font les différents organes de l’appareil ou les mesures policières qu’il prend pour les contenir. Nous apprenons ainsi qu’une partie de la jeunesse ne “respecte” plus l’ordre moral et familial (tel qu’il existe sous sa forme bourgeoise la plus détestable), s’adonne à la “débauche,” méprise le travail et n’obéit plus à la police du parti. Et, en U.R.S.S., on nomme un ministre expressément pour combattre le hooliganisme. Mais, parallèlement à cette révolte diffuse, une contestation plus élaborée tente de s’affirmer, et les groupes ou petites revues clandestines apparaissent et disparaissent selon les fluctuations de la répression policière. Le fait le plus important a été la publication par les jeunes Polonais Kuron et Modzelewski de leur “Lettre ouverte au Parti Ouvrier Polonais.” Dans ce texte, ils affirment expressément “la nécessité de l’abolitaion des rapports de production et des relations sociales actuelles” et voient qu’à cette fin “la révolution est inéluctable.” L’intelligentsia des pays de l’Est cherche actuellement à rendre conscientes et à formuler clairement les raisons de cette critique que les ouvriers ont concrétisée à Berlin-Est, à Varsovie et à Budapest, la critique prolétarienne du pouvoir de classe bureaucratique. Cette révolte souffre profondément du désavantage de poser d’emblée les problèmes réels, et leur solution. Si, dans les autres pays, le mouvement est possible, mais le but reste mystifié, dans les bureaucraties de l’Est, la contestation est sans illusion, et ses buts connus. Il s’agit pour elle d’inventer les formes de leur réalisation, de s’ouvrir le chemin qui y mène.

Quant à la révolte des jeunes Anglais, elle a trouvé sa première expression organisée dans le mouvement anti-atomique. Cette lutte partielle, ralliée autour du vague programme du Comité des Cent — qui a pu rassembler jusqu’à 300.000 manifestants — a accompli son plus beau geste au printemps 1963 avec le scandale R.S.G. 6 . Elle ne pouvait que retomber, faute de perspectives, récupérée par les belles âmes pacifistes. L’archaïsme du contrôle dans la vie quotidienne, caractéristique de l’Angleterre, n’a pu résister à l’aasaut du monde moderne, et la décomposition accélérée des valeurs séculaires engendre des tendances profondément révolutionnaires dans la critique de tous les aspects du mode de vie. Il faut que les exigences de cette jeunesse rejoignent la résistance d’une classe ouvrière qui compte parmi les plus combatives du monde, celle des shop-stewards et des grèves sauvages, et la victoire de leurs luttes ne peut être recherchée que dans des perspectives communes. L’écroulement de la social-démocratie au pouvoir ne fait que donner une chance supplémentaire à leur rencontre. Les explosions qu’occasionnera une telle rencontre seront autrement plus formidables que tout ce qu’on a vu à Amsterdam. L’émeute provotarienne ne sera, devant elles, qu’un jeu d’enfants. De là seulement peut naître un véritable mouvement révolutionnaire, où les besoins pratiques auront trouvé leur réponse.

Le Japon est le seul parmi les pays industriellement avancés où cette fusion de la jeunesse étudiante et des ouvriers d’avant-garde soit déjà réalisée.

Zengakuren , la fameuse organisation des Etudiants révolutionnaires et la Ligue des jeunes travailleurs marxistes sont les deux importantes organisations formées sur l’orientation commune de la Ligue Communiste Révolutionnaire . Cette formation en est déjà à se poser le problème de l’organisation révolutionnaire. Elle combat simultanément, et sans illusions, le Capitalisme à l’Ouest et la Bureaucratie des pays dits socialistes. Elle groupe déjà quelques milliers d’étudiants et d’ouvriers organisés sur une base démocratique et anti-hiérarchique, sur la participation de tous les membres à toutes les activités de l’organisation. Ainsi les révolutionnaires japonais sont-ils les premiers dans le monde à mener déjà de grandes luttes organisées, se référant à un programme avancé, avec une large participation des mase. Sans arrêt, des milliers d’ouvriers et d’étudiants descendent dans la rue et affrontent violemment la police japonaise. Cependant, la L.C.R., bien qu’elle les combatte fermement, n’explique pas complètement et conrètement les deux systèmes. Elle cherche encore à définir précisément l’exploitation bureaucratique, de même qu’elle n’est pas encore arrivée à formuler explicitement les caractères du Capitalisme moderne, la critique de la vie quotidienne et la critique du spectacle. La Ligue Communiste Révolutionnaire reste fondamentalement une organisation prolétarienne clasique. Elle est actuellement la plus importante formation révolutionnaire du monde, et doit être, d’ores et déjà, un des pôles de discussion et de rassemblement pour la nouvelle critique révolutionnaire prolétarienne dans le monde.

“Etre d’avant-garde, c’est marcher au pas de la réalité.” La critique radicale du monde moderne doit avoir maintenant pour objet et pour objectif la “totalité.” Elle doit porter indissolublement sur son passé réel, sur ce qu’il est effectivement et sur les perspectives de sa transformation. C’est que, pour pouvoir dire toute la vérité du monde actuel et, a fortiori , pour formuler le projet de sa subversion totale, il faut être capable de révéler toute son histoire cachée, c’est à dire regarder d’une façon totalement démystifiée et fondamentalement critique, l’histoire de tout le mouvement révolutionnaire international, inaugurée voilà plus d’un siècle par le prolétariat des pays d’Occident, ses “échecs” et ses “victoires.” “Ce mouvement contre l’ensemble de l’organisation du vieux monde est depuis longtemps fini” et a échoué. Sa dernière manifestation historique étant la défaite de la révolution prolétarienne en Espagne (à Barcelone, en mai 1937). Cependant, ses “échecs” officiels, comme ses “victoires” officielles, doivent être jugés à la lumière de leurs prolongements, et leurs vérités rétablies. Ainsi, nous pouvons affirmer qu‘“il y a des défaites qui sont des victoires et des victoires plus honteuses que des défaites” (Karl Liebknecht à la veille de son assassinat). La première grande “défaite” du pouvoir prolétarien, la Commune de Paris, est en réalité sa première grande victoire car, pour la première fois, le Prolétariat primitif a affirmé sa capacité historique de diriger d’une façon libre tous les aspects de la vie sociale. De même que sa première grande “victoire,” la révolution bolchévique, n’est en définitive que sa défaite la plus lourde de conséquences. Le triomphe de l’ordre bolchevik coïncide avec le mouvement de contre-révolution internationale qui commença avec l’écrasement des Spartakistes par la “Social-démocratie” allemande. Leur triomphe commun était plus profond que leur opposition apparente, et cet odre bolchevik n’était, en définitive, qu’un déguisement nouveau et une figure particulière de l’ordre ancien. Les résultats de la contre-révolution russe furent, à l’intérieur, l’établissement et le développement d’un nouveau mode d’exploitation, le capitalisme bureaucratique d’Etat et, à l’extérieur, la multiplication des sections de l’Internationale dite communiste, succursales destinées à le défendre et à répandre son modèle. Le capitalisme, sous ses différentes variantes bureaucratiques et bourgeoises, florissait de nouveau sur les cadavres des marins de Kronstadt et des paysans d’Ukraine, des ouvriers de Berlin, Kiel, Turin, Shangaï, et plus tard de Barcelone.

La IIIº Internationale, apparemment créée par les Bolcheviks pour lutter contre les débris de la social-démocratie réformiste de la IIº Internationale, et grouper l’avant-garde prolétarienne dans les “partis communistes révolutionnaires,” était trop liée à ses créateurs et à leurs intérêts pour pouvoir réaliser, où que ce soit, la véritable révolution socialiste . En fait la IIº Internationale était la vérité de la IIIº. Très tôt, le modèle russe s’imposa aux organisations ouvrières d’Occident, et leurs évolutions furent une seule et même chose. A la dictature totalitaire de la Bureaucratie, nouvelle classe dirigeante, sur le prolétariat russe, correspondait au sein de ces organisations la domination d’une couche de bureaucrates politiques et syndicaux sur la grande masse des ouvriers, dont les intérêts sont devenus franchement contradictoires avec les siens. Le monstre stalinien hantait la conscience ouvrière, tandis que le Capitalisme, en voie de bureaucratisation et de surdéveloppement, résolvait ses crises internes et affirmait tout fièrement sa nouvelle victoire, qu’il prétend permanente. Une même forme sociale, apparemment divergente et variée, s’empare du monde, et les principes du vieux monde continuent à gouverner notre monde moderne . Les morts hantent encore les cerveaux des vivants.

Au sein de ce monde, des organisations prétendument révolutionnaires ne font que le combattre apparemment, sur son terrain propre, à travers les plus grandes mystifications. Toutes se réclament d’idéologies plus ou moins pétrifiées, et ne font en définitive que participer à la consolidation de l’ordre dominant. Les syndicats et les partis politiques forgés par la classe ouvrière pour sa propre émancipation sont devenus de simples régulateurs du système, propriété privée de dirigeants qui travaillent à leur émancipation particulière et trouvent un statut dans la classe dirigeante d’une société qu’ils ne pensent jamais mettre en question. Le programme réel de ces syndicats et partis ne fait que reprendre platement la phraséologie “révolutionnaire” et appliquer en fait les mots d’ordre du réformisme le plus édulcoré, puisque le capitalisme lui-même se fait officiellement réformiste. Là où ils ont pu prendre le pouvoir -dans des pays plus arriérés que la Russie- ce n’était que pour reproduire le modèle stalinien du totalitarisme contre révolutionnaire. Ailleurs, ils sont le complément statique à l’autorégulation du Capitalisme bureaucratisé; la contradiction indispensable au maintien de son humanisme policier. D’autre part, ils restent, vis-à-vis des masses ouvrières, les garants indéfectibles et les défenseurs inconditionnels de la contre-révolution bureaucratique, les instruments dociles de sa politique étrangère. Dans un monde fondamentalement mensonger, ils sont les porteurs du mensonge le plus radical, et travaillent à la pérenninté de la dictature universelle de l’Economie et de l’Etat. Comme l’affirment les situationnistes, “un modèle social universellement dominant, qui tend à l’autorégulation totalitaire, n’est qu’apparemment combattu par des fausses contestations posées en permanence sur son propre terrain, illusions qui, au contraire, renforcent ce modèle. Le pseudo-socialisme bureaucratique n’est que le plus grandiose de ces déguisements du vieux monde hiérarchique du travail aliéné.” Le syndicalisme étudiant n’est dans tout cela que la caricature d’une caricature, la répétition burlesque et inutile d’un syndicalisme dégénéré.

La dénonciation théorique et pratique du stalinisme sous toutes ses formes doit être la banalité de base de toutes les futures organisations révolutionnaires. Il est clair qu’en France, par exemple, où le retard économique recule encore la conscience de la crise, le mouvement révolutionnaire ne pourra renaître que sur les ruines du stalinisme anéanti. La destruction du stalinisme doit devenir le “delenda Carthago de la dernière révolution de la préhistoire.

Celle-ci doit elle-même rompre définitivement , avec sa propre préhistoire, et tirer toute sa poésie de l’avenir. Les “Bolcheviks ressuscités” qui jouent la farce du “militantisme” dans les différents groupuscules gauchistes, sont des relents du passé, et en aucune manière n’annoncent l’avenir. Epaves du grand naufrage de la “révolution trahie,” ils se présentent comme les fidèles tenants de l’orthodoxie bolchevique: la défense de l’U.R.S.S. est leur indépassable fidélité et leur scandaleuse démission.

Ils ne peuvent plus entretenir d’illusions que dans les fameux pays sous-développés où ils entérinenet eux-mêmes le sous-développement théorique. De Partisans (organe des stalino-trotskismes réconciliés) à toutes les tendances et demi-tendances qui se disputent “Trotsky” à l’intérieur et à l’extérieur de la IVº Internationale, règne une même idéologie révolutionnaire, et une même incapacité pratique et théorique de comprendre les problèmes du monde moderne. Quarante années d’histoire contre-révolutionnaire les séparent de la Révolution. Ils ont tort parce qu’ils ne sont plus en 1920 et, en 1920, ils avaient déjà tort. La dissolution du groupe “ultra-gauchiste” Socialisme ou Barbarie après sa division en deux fractions, “moderniste cardaniste” et “vieux marxiste” (de Pouvoir Ouvrier ), prouve, s’il en était besoin, qu’il ne peut y avoir de révolution hors du moderne, ni de pensée moderne hors de la critique révolutionnaire à réinventer. Elle est significative en ce sens que toute séparation entre ces deux aspects retombe inévitablement soit dans le musée de la Préhistoire révolutionnaire achevée, soit dans la modernité du pouvoir, c’est à dire dans la contre-révolution dominante: Voix ouvrière ou Arguments.

Quant aux divers groupuscules “anarchistes,” ensemble prisonniers de cette appellation, ils ne possèdent rien d’autre que cette idéologie réduite à une simple étiquette. L’incroyable “Monde Libertaire,” évidemment rédigé par des étudiants, atteint le degré le plus fantastique de la confusion et de la bêtise. Ces gens-là tolèrent effectivement tout , puisqu’ils se tolèrent les uns les autres.

Notes

[14] Où les partisans du mouvement anti-atomique ont découvert, rendu public et ensuite envahi les abris anti-atomiques ultra-secrets réservés aux membres du gouvernement.

[15] On pense ici à l'excellente revue Heatwave dont l'évolution semble aller vers un radicalisme de plus en plus rigoureux. Adresse: 13, Redcliffe Rd, London, S W 10 Angleterre

[16] KAIHOSHA c/o Dairyuso, 3 Nakanoekimae, Nakanoku, TOKYO JAPON, ZENGAKUREN Hirota Building 2-10 Kandajimbo cho, Chiyoda-Ku, TOKYO Japon

[17] Internationale Situationniste, nº 8

[18] Internationale Situationniste, nº 7

[19] Leur réalisation effective, c'est tendre à industrialiser le pays par la classique accumulation primitive aux dépens de la paysannerie, accélérée par la terreur bureaucratique.

[20] Depuis 45 ans, en France, le Parti dit Communiste n'a pas fait un pas vers la prise du pouvoir, il en est de même dans tous les pays avancés où n'est pas venue l'Armée dite rouge.

[21] Internationale Situationniste, nº 10

[22] Sur leur rôle en Algérie, cf. Les luttes de classes en Algérie, Internationale Situationniste, nº 10

[23] Internationale Situationniste, nº 9